Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Le mur du Tain à Dublin (fresque contemporaine illustrant le Tain Bo Cuailnge

 

Numérisation de la première page du Manuscrit original  conservé à la bibliothèque du Trinity College de Dublin, XI ème siècle

Le « Táin Bó Cúailnge » que l’on traduit en français par la « Razzia des vaches de Cooley » est le récit mythologique le plus connu d’Irlande. D’abord légende orale racontée par les druides puis retranscrite dans des manuscrits par des moines au XI -ème siècle elle pose les jalons d’une mythologie forte dans laquelle tout le peuple celte puise sa force et son identité. 

Véritable épopée ce récit raconte l’invasion de l’Ulster par une coalition d’autres provinces d’Irlande menée par la Reine Medb dans le seul but de récupérer un taureau fabuleux : le fameux Brun de Cuailnge. 

Tout part d’une querelle conjugale où le roi Aillilet la reine Medb s’affrontent sur leur patrimoine respectif. La Reine se rend alors compte que le roi possède une seule chose qu’elle n’a pas. Un taureau. Blanc. Nommé le Blanc Cornu. C’était un taureau aux pouvoirs magiques et aux cornes d’argent.

La Reine décide de trouver un animal similaire afin de tenir son rang et apprend l’existence du Brun de Cuailnge, seul taureau d’Irlande capable de rivaliser avec le Blanc Cornu. Elle se mit en tête de s’en emparer.

Et c’est ainsi que débute la légende de « La razzia des Vaches de Cooley ». Atravers deux cents pages de narration haletante centrée sur la quête du taureau fantastique se mêlent prophéties druidiques et héros celtes sanguinaires prêts à tout pour conquérir des territoires et ramener ce taureau.  Le récit se termine par le combat entre les deux taureaux. Le Brun de Cuailnge et le Blanc cornu. Un combat d’une grande violence où le blanc sera tué d’un coup de corne…Le Brun sera blessé et retraversera toute l’Irlande afin de mourir chez lui.

Véritable « Illiade » celtique nos esprits imprégnés de culture gréco-latine verront dans ce livre d’inévitables réminiscences homériques dans le personnage humain central…mais vous avez également le droit de penser à un Games of Thrones taurin où l’onirisme celte a dû inspirer cette série moderne.

Le Brun de Cuailnge est d’après les descriptions un taureau énorme aux cornes d’or, à l’agressivité et à la fierté démesurées. Doté de vertus magiques c’était un taureau fantastique notamment grâce à son meuglement mélodieux qu’il poussait à chaque neuvième heure et qui attirait les vaches. Il était ainsi capable de monter cinquante vaches par jour et une fois engrossées elles étaient condamnées à mettre bas dès le lendemain ou à exploser de par la force surnaturelle de la semence du taureau. Il était doté d’une intelligence humaine capable de repousser le mal et pouvait par exemple protéger 100 guerriers. De plus un passage raconte que 50 enfants avaient pour habitude de jouer et de faire des acrobaties sur le dos du taureau tous les soirs au coucher du soleil (sur cette anecdote les spécialistes noteront des similitudes avec les jeux taurins du bassin méditerranéen, ceux de la fameuse fresque de Knossos en Crête, et supposeraient une influence de la civilisation créto-minoenne sur les celtes, évidemment difficile à démontrer.) Et enfin selon le pré-récit de l’histoire de la « Razzia des vaches de Cooley » le taureau serait le septième porcher des Dieux c’est à dire la réincarnation du gardien des cochons d’un dieu fondamental de la mythologie celte ce qui lui confère une dimension sacrée indéniable.

Présenté par certains celtologues comme le troisième animal sacré de la mythologie celte le taureau demeure néanmoins à part incarnant une symbolique particulière. En étant l’enjeu principal du récit fondateur de la civilisation celte il apparaît en effet comme la réincarnation d’une divinité, d’un roi ou encore d’un guerrier. Il existait d’ailleurs des pratiques sacrificielles appelés « Tarbfes » (littéralement « festin du taureau ») où l’on tuait une bête pour des élections royales. « Tarb » signifie en vieil irlandais « taureau » utilisé pour l’animal immolé et donc métaphoriquement utilisé pour désigner le « roi ». On trouve d’ailleurs très souvent dans les récits mythologiques celtes l’appellation « Taureau de combat » pour désigner un roi ou un guerrier valeureux. A noter que la ville de Tarbes signifie en gaulois « Ville du Dieu Taureau » et que dans sa « Guerre des Gaules » Jules César mentionne un chef gaulois appelé Donno-Taurus qui pour s’imprégner de la puissance taurine aurait choisi ce nom en souvenir de l’épopée irlandaise, preuve que le récit à traversé et les mers et les époques.

 

    

Editions française et anglo-saxonne du Tain Bo Cuailnge

Ce récit passionnant intrigue et surprend par la multiplicité des interprétations et ce grâce notamment aux différents noms sous lequel apparaît notre bovidé : Tarb comme Dieu Taureau ou Donn comme « brun » mais également comme nom commun qui signifie roi, noble ou encore seigneur.  C’est en cela que l’interprétation qu’en fait Dimitri Boekhoorn dans sa thèse sur « Le bestiaire mythique et légendaire dans la tradition celte » nous permet de remarquer encore une fois l’importance de la figure taurine dans cette civilisation. En effet même s’il paraît évident que les deux taureaux incarnent la richesse et des objets de prestige on peut également y voir un symbolisme territorial. C’est-à-dire que le Brun de Cuailnge serait en fait le « seigneur » du royaume d’Ulster. Et en s’emparant de ce taureau fantastique la Reine ne ferait que s’assurer d’une surpuissante souveraineté élargissant son autorité. Emblème royal par excellence qui représente un idéal de sacrifice et de virilité, le taureau celte incarne sans nul doute les valeurs premières d’une civilisation qui n’eut de cesse que de cultiver son brillant esprit belligérant à travers contes et légendes fantastiques…

La déification du Brun de Cuailnge au fil des pages de cette épopée celte irlandaise nous prouve une fois de plus la fascination des hommes pour le taureau. En le faisant Dieu il atteint un panthéon imaginaire que nous n’avons jamais cessé d’honorer siècle après siècle.

  

Le Brun de Cooley statue contemporaine dans le comté de Loth  (Irlande)

 

Nos remerciements à Dimitri Boekhoorn pour son aide précieuse sur le bestiaire celte.