Nous avons publié ici-même, le 22 mai 2015, un remarquable article de Sophie Malakian-Verneuil intitulé “La mort du taureau dans l’arène”. Ce texte fort intéressant n’a pas manqué de susciter l’intérêt de nos visiteurs et au-delà.
Sophie Malakian-Verneuil a accepté que son article soit repris dans le Midi-Libre électronique du 9 septembre dernier ce qui n’a pas manqué de de lui procurer une grande résonance et de susciter l’habituelle polémique, recherchée par le journal, entre les amateurs de corridas et les anti-corrida.
C’est l’occasion pour Midi-Libre de publier, ce matin même, la réponse du Dr Makian Verneuil à ses détracteurs sous forme d’une magnifique interview.
Quelle classe ! Quel équilibre entre l’intelligence et la sensibilité ! Quelle naturelle et courtoise franchise !
Jugez-en plutôt :
Copie de l’article de Midi Libre du 18 09 2015 :
Tribune sur la corrida : “La mort ne me ravit pas”, dit Sophie Malakian-Verneuil Propos recueillis par mail par AGATHE BEAUDOUIN Sophie Malakian-Verneuil. Vétérinaire, Sophie Malakian-Verneuil a rédigé dernièrement une tribune sur la corrida qui a fait le buzz. A l’occasion de la feria des vendanges qui se déroule jusqu’à dimanche à Nîmes, elle a bien voulu répondre à nos questions et au débat qu’elle a suscité. Début septembre, vous avez signé une tribune sur le taureau de combat diffusée entre autres sur le site midilibre.com, où vous livrez une vision très personnelle de la corrida. À quel moment avez-vous décidé de rédiger un texte sur ce sujet sensible du taureau de combat ? En mai dernier. Je suis allée à Jerez de la Frontera pour la feria. En rentrant, j’ai eu envie d’écrire ce texte que je ne destinais pas, au départ, à une quelconque publication. Lorsque je l’ai fait lire, on m’a encouragée à le publier. J’ai donc cherché une revue taurine qui souhaiterait le publier et c’est ainsi qu’il a été mis en ligne sur L’ONCT (Observatoire national des cultures taurines). J’ai alors reçu de nombreux témoignages de gens qui ne me connaissaient pas et qui me remerciaient d’avoir si bien compris et décri la question. Ensuite, le texte à fait son chemin jusqu’à votre rédaction. Êtes-vous vous-même une spectatrice de corrida, une aficionada régulière ? Non, la corrida que j’ai vue à Jerez était la première que je voyais. J’avais vu plusieurs corridas à cheval au Portugal lorsque j’avais 15 ans, dans laquelle le taureau n’était pas mis à mort. Je ne suis pas ce qu’on appelle une aficionada. “Les anti corrida sont malheureusement enfermés dans leur combat et leurs jugements. Leurs propos sont très agressifs” Ce texte a connu une très grande audience et a été largement repris puis commenté sur les réseaux sociaux, autant par les pro que les anti corrida. Non, pas du tout. Comme je l’ai dit, je n’avais pas l’intention de publier ce texte lorsque je l’ai écrit et j’ai été très surprise, non pas par la réaction des anti corrida, mais par celle des aficionados et d’autres personnes qui m’ont fait toutes sortes d’éloges sur la justesse de mes propos. Vétérinaire de profession, vous expliquez que vous avez “un très grand respect pour la cause animale dont je reste une fervente et sincère défenseur”. Vous démontrez aussi que “combattre dans une arène n’est certes pas naturel, mais pour le taureau cette mort-là aura plus de sens que celle d’un taureau exécuté dans un abattoir”. Par ces mots, vous adressez-vous directement aux anti corrida ? Je m’adresse à tous ceux qui sont capables de sortir de leur habituelle vision des choses pour tenter de considérer une vision moins passionnée sur le sujet, plus philosophique. Les anti corrida sont malheureusement enfermés dans leur combat et leurs jugements. Leurs propos sont très agressifs. En tant que vétérinaire, j’ai eu l’occasion de côtoyer des gens qui se nomment défenseurs de la cause animale. Je sais qu’ils sont sincères dans leur amour des animaux, je ne le conteste pas, et je comprends le cheminement de leur pensée. Ce que j’ai tenté d’expliquer dans mon texte, c’est qu’ils ne considèrent pas la nature dans son entière réalité. Ils regardent la corrida sans voir tous ses aspects. Il y a toujours plusieurs facettes et plusieurs angles de vues de toute chose. Lorsque l’on veut porter un jugement le plus juste possible, il faut être capable d’envisager toutes ces facettes. C’est ce que j’ai tenté de faire. Je n’aime pas voir le taureau mourir, ni une antilope se faire dévorer par un lion, ni un bœuf se faire tuer dans un abattoir. La mort ne me ravit pas et pourtant elle fait partie de notre vie. “Le monde de la corrida m’apparaît comme un monde aux valeurs fortes, un monde de traditions et de respect authentique de l’animal” J’ai eu la chance d’assister à une corrida où les six taureaux ont été mis à mort rapidement au premier coup d’épée, leur combat n’a duré qu’environ 15 minutes. J’ai aussi, par mon métier, pu assister dans un abattoir à la mort de dizaines de bêtes. J’ai eu à euthanasier des animaux dont on ne pouvait empêcher la souffrance. Aucune de ces morts ne m’a fait plaisir. En tant que vétérinaire, je considère aussi le bien-être des animaux durant leur vie et les taureaux de combat ont une vie bien plus équilibrée et naturelle que les bovins élevés pour la boucherie. Ils vivent dans des grands espaces et sont peu manipulés par les hommes, contrairement aux bovins destinés à la boucherie qui, pour des raisons économiques, sont le plus souvent parqués dans des petits espaces et nourris artificiellement. Leur mort n’est pas non plus exempte de souffrance, car même s’ils reçoivent un coup de poinçon dans le crâne avant d’être saignés, ces animaux sont transportés vers les abattoirs, bien souvent dans des conditions difficiles, et lorsqu’ils arrivent à l’abattoir, ils sentent la mort, ils sont affolés, affaiblis et stressés. C’est aussi une souffrance qui dure des heures. Mon discours n’a pas vocation à donner des leçons à quiconque, il s’agit d’un point de vue plus large que la seule question de la mort du taureau de corrida et de son bien-fondé. C’est mon analyse de la place de la corrida dans notre société en dérive qui perd peu à peu toutes ses valeurs. Le monde de la corrida m’apparaît comme un monde aux valeurs fortes, un monde de traditions et de respect authentique de l’animal autour duquel tourne la vie de tous ses acteurs. Les aficionados viennent contempler non pas la mort et la souffrance, mais ce monde de traditions et de valeurs qui fait tant défaut de nos jours. Les anti corrida ne comprennent pas l’amour de l’animal des éleveurs de taureaux bravos, même si quelques-unes de ces bêtes finissent leur vie dans l’arène. “On peut aimer les animaux et les envoyer à l’abattoir, ou chasser, ou aimer la corrida” De la même façon, les éleveurs de bovins destinés à la boucherie ont un profond respect de leurs bêtes même si elles finissent sur la chaîne d’abattage. Cet amour-là est d’une nature différente de celui des amoureux-défenseurs des bêtes, mais il est bien réel. En tant que vétérinaire, j’ai pu observer cela. Mon œil de petite fille qui pleurait devant Bambi parce que les vilains chasseurs avaient tué sa maman s’est transformé en celui d’une grande personne qui sait que nous ne vivons pas dans le monde de Bambi et que notre société est plus complexe. On peut aimer les animaux et les envoyer à l’abattoir, ou chasser, ou aimer la corrida. Vous portez un regard sévère sur les défenseurs de la cause animale… Ils se trompent complètement de cible, dites-vous ? Les défenseurs de la cause animale sont malheureusement très agressifs et j’ai eu souvent à faire à eux dans ma carrière. Je ne veux pas faire de généralités, mais certains ont un discours extrémiste, voire violent envers quiconque n’a pas exactement leur point de vue. Il est impossible et inutile de tenter une discussion avec ceux-là. Personnellement, je ne porte pas de jugement sur ces personnes. Quoi qu’il en soit, les mots ne sont que des mots. J’ai fait dans ma carrière beaucoup pour les animaux. Je les ai soignés bien sûr, mais en Guadeloupe où j’ai exercé pendant 18 ans, j’ai recueilli et placé des centaines de chiens et de chats abandonnés, j’ai toujours aidé les plus démunis à soigner leurs animaux malgré leur manque d’argent. J’ai éduqué aussi une population qui n’avait pas pour habitude de soigner leurs animaux parce qu’il n’y avait pas de vétérinaire avant, dans la ville ou j’ai installé mon cabinet, et qu’ils n’avaient pas pour habitude de faire appel à un vétérinaire. Leurs bêtes étaient parfois dans des états catastrophiques, mais j’ai agi toujours dans l’intérêt des animaux, sans jamais juger le comportement de leurs propriétaires. Et pendant ce temps, il s’est toujours trouvé des donneurs de leçons pour venir m’expliquer ce qu’il fallait faire pour sauver les animaux de Guadeloupe. “La corrida existe car elle a sa place et son utilité” Les grands discours utopiques ne font pas avancer les choses, la haine non plus. J’ai fait dans la mesure de mes moyens beaucoup et n’ai de leçon à recevoir de personne sur ce sujet. Mon regard sur la condition animale est riche de toute mon expérience, de toute ma compassion et de mon approche concrète de ce monde-là. Les anti corrida comme les extrémistes de la cause animale ont une vision partisane et intellectuelle des choses. Ils ne connaissent de la corrida que l’image erronée que leur opinion leur impose. Mon texte propose une approche différente et à ce titre, il suscite des réactions violentes mais aussi des louanges. Pourquoi, selon vous, la corrida reste toujours un sujet de vive tension entre les pro et les anti, alors que l’existence des abattoirs est acceptée ? Cela peut aller jusqu’à de violentes altercations comme à Rodilhan, près de Nîmes en octobre 2011 ? L’écart qui sépare les commentaires négatifs des compliments sur mon texte est significatif car il montre à quel point les opinions diffèrent. Cependant, l’agressivité des anti corrida, ne sert à rien. Ils blâment avec violence l’existence des corridas et acceptent celle des abattoirs, mais il est fort probable que la plupart d’entre eux n’aient jamais mis les pieds ni dans l’un, ni dans l’autre. Ils ont le droit d’exprimer leur opinion comme tout un chacun, puisque nous sommes en démocratie. La violence n’a donc pas lieu d’être. La corrida existe car elle a sa place et son utilité. Elle ne peut disparaître parce que ça choque la sensibilité des anti corridas, ni parce qu’ils utilisent la violence (qu’ils condamnent par ailleurs dans l’arène) pour tenter d’imposer leurs souhaits. “Je ne prétends rien défendre” La même chose qu’à n’importe quelle personne. Chacun a le droit d’avoir une opinion et de l’exprimer. Ce que je déplore et dénonce, c’est l’anthropomorphisme, c’est-à-dire l’assimilation et la compréhension de l’animal comme s’il s’agissait d’un être humain. Les animaux ont des émotions mais pas des sentiments. Le sentiment est humain et la notion de mort ou de souffrance est très différente selon moi dans le psychisme animal et dans celui de l’être humain qui intellectualise la chose. Certains vétérinaires ne voient pas cette différence et c’est ce qui explique la divergence de point de vue. Aujourd’hui, vous diriez-vous “fervente défenseur de la corrida” ? Non, si vous lisez bien mon texte, vous verrez que je ne prétends rien défendre. Je me suis livrée à une analyse de ce que j’ai ressenti en voyant cette corrida, d’une manière imagée au début, où je décris ce que je comprends du ressenti de ce taureau, qui est projeté dans un monde qui ne ressemble pas à ce qu’il connaît, mais dont l’instinct le pousse à combattre pour tuer son adversaire, pour finalement comprendre qu’il a affaire à plus fort que lui. Puis je livre ma compréhension de la vie au travers de la corrida. “Je leur reconnais (aux anti) une véritable sincérité dans leur amour des animaux, que je partage, mais j’ai aussi un grand amour des êtres humains en général” Plus généralement, je parle de la place de l’animal dans cette société qui donne plus d’importance à l’argent qu’à la vie. C’est dans cette analyse globale que je suis amenée à penser que le combat des anti corrida n’a pas de sens, car il considère la corrida sans regarder le monde dans lequel elle trouve sa place. Nous vivons une époque où disparaissent les traditions, ainsi que l’identité culturelle des peuples, laissant place à une sorte de dilution des valeurs fortes. Dans le monde de la corrida comme dans quelques îlots de résistance des traditions culturelles, ces valeurs sont encore palpables et c’est, je pense, ce que les aficionados viennent chercher dans l’arène. Dans quel état d’esprit êtes-vous ? Avez-vous, à un moment, regretté de rendre public ce texte dont on a le sentiment qu’il est très personnel ? Je ne peux regretter d’avoir exprimé mes idées, c’est un grand privilège qu’ont les gens qui vivent dans un pays démocratique. D’autant qu’un grand nombre de personnes ont apprécié ma pensée et ma plume. Ceux qui ont réagi violemment, en laissant des commentaires pleins de haine, n’ont, semble-t-il, pas saisi le sens de mon texte. On ne peut plaire à tout le monde. Je n’insulte personne et comme je l’ai dit, je n’en veux pas à ceux qui n’adhèrent pas à ma vision, c’est leur droit. Je leur reconnais une véritable sincérité dans leur amour des animaux, que je partage, mais j’ai aussi un grand amour des êtres humains en général. Je regrette simplement que certaines personnes tiennent des propos haineux à mon encontre juste parce que j’ai exprimé une vision différente de la leur. C’est un chemin dangereux que d’autres ont déjà emprunté pour des raisons diverses et dont il n’est jamais rien sorti de bon. |