Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Nous avons copié, ci-dessous, en donnant les liens vers leurs sites d’origine :

  • un article de Michel Onfray, intitulé “Le cerveau reptilien de l’aficionado”, publié sur son site de l’Université Populaire de Caen.
  • une réponse à cet article, intitulée “Corrida : les contresens de Michel Onfray” par la blogueuse masquée, Aliocha, difussée par Marianne 2.
Michel Onfray s’est livré à une attaque des aficionados, stéréotypée, sans la moindre nuance.
Il semble, néanmoins qu’il ne soit pas antispeciste, puisque qu’il attribue aux reptiles un pouvoir maléfique et les range dans une catégorie d’êtres inférieurs pervers qu’il n’aime pas.
 
Dans sa réponse, la très pertinente Aliocha, remet gentiment mais fermement les choses à leurs places.

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La chronique mensuelle de Michel Onfray | N° 89 – Octobre 2012

LE CERVEAU REPTILIEN DE L’AFICIONADO

Le conseil constitutionnel vient d’autoriser la poursuite des spectacles de traitements inhumains et dégradants… de l’homme. Car assister à une corrida, c’est s’installer dans ce qu’il y a de moins humain dans l’homme : le plaisir pris à la souffrance et à la mise à mort d’un être vivant. On a beau envelopper ce rite barbare de fanfreluches culturelles, citer Goya, renvoyer à Picasso, en appeler à Hemingway ou Leiris, les ritournelles culturelles de cette pauvre caste, il n’y a pas de bonnes raisons pour un cortex normalement constitué de travailler en faveur du cerveau reptilien.

Toute la civilisation est effort d’arrachement de la barbarie pour aller vers la culture : disons-le moins prosaïquement, pour aller du talion à la loi, du viol à sa condamnation, de l’exploitation des enfants à leur éducation – de la corrida à son abolition. Il cohabite en chacun de nous un cerveau de l’intelligence et un cerveau de serpent : on doit au premier les artistes, les écrivains, les bâtisseurs, les philosophes, les musiciens, les inventeurs, les pacifistes, les instituteurs ; au second, les tortionnaires, les tueurs, les guerriers, les inquisiteurs, les guillotineurs, et autres gens qui font couler le sang – dont les toreros.

Sade est le maître à penser des amateurs de corrida : il fut avant les Lumières le dernier penseur féodal pour qui son bon plaisir justifiait le sang versé. Il faut en effet un formidable potentiel sadique pour payer son entrée dans une arène où le spectacle consiste à torturer un animal, le faire souffrir, le blesser avec cruauté, raffiner les actes barbares, les codifier, (comme un inquisiteur ou un tortionnaire qui sait jusqu’où il faut aller pour garder en vie le plus longtemps possible celui  qu’on va de toute façon mettre à mort…) et jouir de façon hystérique quand le taureau s’effondre parce qu’il n’y a pas d’autre issue pour lui.

Dans leur cynisme, les aficionados récusent cette idée de l’impasse dans la mort et renvoient pour ce faire aux rares taureaux graciés – exactement comme le partisan de la peine de mort justifie cette autre barbarie par la possibilité pour un chef d’Etat d’exercer son droit de grâce… La preuve que le taureau ne meurt pas toujours, c’est que, selon le caprice des hommes, on décide parfois d’en épargner un sous prétexte de bravoure ! Qu’un être qui jouisse de l’exercice codifié de la barbarie puisse en appeler à la vertu fait sourire…

Dans l’arène, il y a tout ce qu’on veut, sauf de la vertu : du sadisme, des passions tristes, de la joie mauvaise, de la cruauté, de la férocité, de la méchanceté. J’évite, à dessein, la bestialité, car la bête tue pour se nourrir, pour défendre son territoire, protéger ses petits, vivre et survivre. Je ne sache pas qu’il existe dans le règne animal ce spectacle dégradant qui consiste à tuer lentement, pour le plaisir de mettre à mort et de jouir de ce spectacle pour lui-même, avant abandon du cadavre à son néant. La mise en scène, l’exhibition de la cruauté, le sang versé pour s’en rassasier, voilà ce qui caractérise l’homme – pas la bête.

On voudrait également que celui qui n’aime pas la corrida devienne végétarien : c’est ne pas vouloir comprendre que le problème dans la corrida n’est pas la mise à mort, encore que, mais son spectacle à des fins de jouissance. Quand le boucher tue pour nourrir la population, il ne jouit pas d’abattre – du moins, il n’entre pas dans sa fonction qu’il en soit ainsi…

Notre époque sent le sang. Quelques uns s’honorent en ne communiant pas dans cette barbarie défendue par son ancienneté : mais il est dans l’ordre des choses que toute barbarie s’enracine dans la tradition et l’ancienneté. L’argument de la tradition devrait être définitivement dirimant. Depuis les temps les plus anciens, le mâle viole la femelle, le fort égorge le faible, le loup dévore l’agneau : est-ce une un argument pour que les choses continuent toujours ainsi ? Il y a plus d’humanité dans le regard de mes chats que dans celui d’un être qui hurle de joie quand le taureau vacille et s’effondre, l’oeil rempli de larmes et bientôt de néant.

Michel Onfray©

sur Université Populaire de Caen

 

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Corrida : les contresens de Michel Onfray
Mardi 9 Octobre 2012 à 16:00

Aliocha – Blogueur associé

Aliocha est le pseudonyme d’une journaliste économique diplômée en droit, qui traite plus… 

Contre Michel Onfray qui s’indignait récemment de la barbarie des corridas, notre blogueuse associée Aliocha insiste sur la noblesse de cette tradition et dénonce des raccourcis philosophiques opérés selon elle par un penseur qui ne maîtrise pas les codes de l’art tauromachique.

(Tucson, Arizon – SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA)

Etre un philosophe médiatique est une charge qui impose quelques devoirs. A commencer par celui d’être présent dans les grands débats de société. Peu importe que l’on ait ou non quelque chose à dire, le tout est de se positionner. Car alimenter le buzz, c’est indispensable pour vendre des livres. Les médias embrayent avec enthousiasme, en vertu d’une loi saine à l’origine, mais sans cesse dévoyée : la qualité de la source. De là découle la fiabilité de l’information. D’où la recherche de gens déjà reconnus qui apportent l’assurance qu’au moins si on se trompe, on le fera collectivement, ce qui est réconfortant.

Evidemment,  on pourrait s’attendre à ce que le journaliste chasse en permanence les nouveaux talents, experts, philosophes, romanciers. Hélas, la plupart du temps il lui faut aller vite, donc trouver le bon client, lequel est généralement celui qu’il a interviewé la veille. Ainsi se façonnent les personnages médiatiques. Une fois en haut du podium, ils perçoivent les jetons de présence et les dividendes qui croissent très vite de façon exponentielle. Le seul risque, c’est le retournement médiatique, car les médias ont l’habitude de brûler ce qu’ils adorent…

Certains auront deviné, rien qu’à l’évocation du terme « philosophe médiatique », que j’évoque ici Michel Onfray. Ceux qui ont dit « BHL » sont priés d’aller au coin. BHL est romanquêteur, éditorialiste, acteur, réalisateur, business man, patron de son propre réseau germanopratin, ministre des Affaires étrangères par interim et plein d’autres choses encore, mais il ne philosophe plus depuis fort longtemps.

Michel Onfray, si. Il publie, anime, débat, bref il s’exprime et, parce qu’il est philosophe, on appelle cela : philosophie. Parfois, il donne un cours de mediatraining à des gens trop sincères pour les comprendre, dévoilant ainsi une nature cabotine qu’on avait devinée, mais dont on n’imaginait pas qu’il la révélerait avec tant de fraicheur. Tout récemment, il a fait couler de l’encre, comme on disait autrefois, en refusant de s’occuper de l’exposition Albert Camus. Ce qui suscite un portrait ébloui chez Télérama, et un article beaucoup plus circonspect du côté du Monde.

«Un cerveau de l’intelligence et un cerveau du serpent»

C’est peu dire que les médias abîment tout ce qu’ils touchent. Je gage que si Michel Onfray était demeuré, comme l’immense majorité de ses collègues, sous le radar de la presse, il se serait sans doute épargné des réflexions aussi grossièrement balourdes que celles qu’il propose sur la corrida. On lui pardonnera la tentation d’être reconnu de son vivant, même si elle obère sérieusement celle d’être salué après sa mort. Entre la jouissance terrestre et la gloire d’être immortel, il faut choisir.

Michel Onfray donc, s’attaque à la corrida.  L’ennui, c’est qu’on attend beaucoup d’un philosophe, et en particulier qu’il identifie dans un phénomène de société les questions fondamentales, en s’appuyant sur une analyse juste des choses. Hélas, en l’espèce…

Voici l’argument essentiel :

« Il cohabite en chacun de nous un cerveau de l’intelligence et un cerveau de serpent : on doit au premier les artistes, les écrivains, les bâtisseurs, les philosophes, les musiciens, les inventeurs, les pacifistes, les instituteurs ; au second, les tortionnaires, les tueurs, les guerriers, les inquisiteurs, les guillotineurs, et autres gens qui font couler le sang — dont les toreros ».

La juriste que je suis frissonne à l’idée que l’on puisse encore penser et donner à penser que le monde se divise entre les gens « intelligents » et les criminels, comme si chacun d’entre nous ne portait pas en lui, mêlés de la manière la plus intime, l’intelligence et le reptilien (sans compter tout le reste).

Si Onfray avait été de droite, je gage qu’il se serait trouvé des esprits chagrins pour déceler dans ses propos des relents de la vieille théorie du criminel-né. Admettons qu’il s’agisse d’un malencontreux raccourci de plume, mais c’est quand même fâcheux. Et surtout très peu sophistiqué comme vision du monde… A ce compte-là, je connais beaucoup de philosophes… par exemple tous les habitués du Bar des Platanes.

Sadisme et corrida

« Sade est le maître à penser des amateurs de corrida, ajoute l’auteur : il fut avant les Lumières le dernier penseur féodal pour qui son bon plaisir justifiait le sang versé. Il faut en effet un formidable potentiel sadique pour payer son entrée dans une arène où le spectacle consiste à torturer un animal, le faire souffrir, le blesser avec cruauté, raffiner les actes barbares, les codifier, (comme un inquisiteur ou un tortionnaire qui sait jusqu’où il faut aller pour garder en vie le plus longtemps possible celui  qu’on va de toute façon mettre à mort…) et jouir de façon hystérique quand le taureau s’effondre parce qu’il n’y a pas d’autre issue pour lui ».

Avancer que Sade est le maître à penser des amateurs de corrida est séduisant en première analyse. Qui sait si l’idée ne vient pas de la fameuse Histoire de l’oeil de Georges Bataille… L’ennui, c’est que l’argument s’appuie sur un contresens.  Personne n’assiste à une corrida pour voir torturer un animal, moins encore pour le voir mourir. A l’exception peut-être de l’héroïne de Bataille et pour cause, l’auteur mène une expérience philosophique sur l’érotisme et la mort. Les héros de ce roman commencent par organiser des orgies et finissent par tuer un prêtre. Qu’on ne s’étonne donc pas qu’au passage ils aillent jouir en regardant mourir des toros à la corrida.

Mais laissons-là les personnages déments de Bataille. Les aficionados vont à la corrida pour voir un homme risquer sa vie en affrontant un animal de 500 kilos (minimum) aux cornes aussi dangereuses que des poignards. Les « olé » de la foule saluent le courage du torero qui enroule le danger autour de lui et lui échappe. Pas la souffrance du toro. Jamais. Pas plus que la mort du toro ne suscite de « jouissance hystérique ». Non, on salue le torero s’il a tué son adversaire sans le faire souffrir, on le conspue si le toro blessé agonise inutilement du fait de la maladresse de l’homme. Relevons au passage que l’estocade est un des moments les plus dangereux pour le torero. J’ai souvenir de l’un d’entre eux, mort à 21 ans, d’un coup de corne en plein coeur, en même temps que le toro qu’il venait de combattre.

Non vraiment, l’argument du plaisir tiré du spectacle de la souffrance est absurde et insultant. Mais pour s’en rendre compte, encore faut-il le développer jusqu’au bout.  Si le public du sud de la France, de l’Espagne et de l’Amérique du Sud, ainsi que de quelques autres lieux est vraiment animé des sentiments que décrit Michel Onfray, cela représente des centaines de milliers de personnes, au bas mot, et autant de gens qu’il convient d’interner d’urgence. Parce que je ne sais pas vous, mais moi, à l’idée que des centaines de milliers d’individus prennent plaisir à voir souffrir et mourir six toros par corrida, cela me fait frissonner d’horreur. Surtout que la plupart d’entre eux passent ensuite des heures dans les bistrots à se repasser le film imaginaire de toutes les grandes corridas auxquelles ils ont assisté.

De fait, je n’ai absolument pas envie que ces monstres traînent dans la nature. Et puis qui sait de quoi ils seront capables si on les prive de leur exutoire ? En tout état de cause, en quoi supprimer la corrida permettrait-il d’exorciser le mal du coeur des aficionados ? On reconnait bien là la traditionnelle obsession contemporaine de ne pas voir pour se convaincre que ce qu’on ne voit pas finira par disparaître.

«Nos violences ont changé de visage»

En réalité, la corrida pose des questions très profondes. Le travail du philosophe — non médiatique ? — consiste en l’espèce à  s’interroger par exemple sur ce qui pousse des hommes à notre époque encore à risquer leur vie pour un « spectacle ». Pour sauver les autres encore, on comprend : pompier, secouriste, par exemple, mais pour un « spectacle » ?

On peut se demander aussi pourquoi cette tradition parait si barbare, c’est-à-dire étrangère et dépassée, aux yeux de ceux qui ne la connaissent pas. Est-ce parce que nous sommes en passe de vaincre la violence de nos sociétés, comme le soutient Michel Onfray ? N’est-ce pas plutôt parce que nos violences ont changé de visage, parce qu’elles ne sont plus physiques, mais morales ? Le sang ne coule plus que caché derrière des murs ou dans le secret des âmes, c’est-à-dire partout où notre société le dissimule pour ne plus le voir. Sinistre hypocrisie, mortel aveuglement collectif que le philosophe aurait aperçu s’il avait pris le temps de faire autre chose que de recopier un tract de défenseurs des animaux. L’allusion à Sade – il fallait bien contrer Hemingway, Goya et Picasso – n’éblouira que les naïfs. Le philosophe beaucoup moins médiatique Dany-Robert Dufour s’inspire de manière autrement plus intéressante du divin marquis pour décrire notre époque…Et considère non pas qu’il est le dernier penseur féodal, mais au contraire le prophète monstrueux de notre société de consommation.

Si Michel Onfray avait travaillé son sujet (oxymore pour un personnage médiatique dont la seule signature suffit à valoriser n’importe quelle production), interrogé des aficionados, des éleveurs de toros, des toreros, des directeurs d’arènes, il aurait saisi qu’au plus profond de cet amour de la tauromachie, il y avait une peur primale, ancestrale et éternelle : celle de la mort. Et un espoir fou : celui, à chaque course de toros, de voir un homme, en habit de lumière et ballerines, c’est-à-dire incroyablement fragile et démuni, triompher de l’effrayant cauchemar en un combat rituel. C’est sans doute cela qui interpelait les Goya et autre Hemingway. Eux ne craignaient pas d’effleurer ce mystère, quitte à se mettre en danger. Ce genre de courage n’est visiblement plus à la mode.

Quand la corrida aura disparu, cette peur s’exprimera différemment. Non par d’autres violences,  elle n’est pas l’expression du goût du sang contrairement à ce qu’avancent les ignares, mais par d’autres souffrances. Simplement, celles-là ne brilleront pas dans le soleil et la poussière au rythme d’un paso doble. Il n’y aura plus ni or, ni sang, ni olé. Plus de décorum ni de sacré. Juste les antidépresseurs et, au choix, la corde, le gaz, ou les somnifères arrosés d’alcool. C’est un choix de société, je ne le juge pas, mais qu’on ne vienne surtout pas me dire que nous construisons un monde meilleur. Nous ne faisons que substituer de nouvelles violences aux anciennes. Le sacré et le décorum en moins. Qu’on me pardonne d’éprouver une certaine nostalgie de l’esthétique.

Diffusé par Marianne 2

Retrouvez La Plume d’Aliocha sur son blog 
 

Voir aussi l’article de Jef Tombeur, “Onfray-moi-peur !” sur come 4 news