Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

2 – Historiens, chercheurs et la tauromachie.

 

Bien au delà des besoins des livres scolaires, beaucoup d’auteurs ont écrit sur l’Espagne, et un certain nombre ont revisité son Histoire. Dans ces travaux, il y souvent un paragraphe, des fois un chapitre sur ce drôle de phénomène qu’est la tauromachie. Ce qui est intéressant pour nous, c’est la manière dont l’historien français a posé son regard sur elle.

 

L’histoire de la tauromachie appartient d’abord à l’histoire de L’Espagne. Cela est une évidence, et même si le chemin de cette histoire est complexe, l’itinéraire espagnol est essentiel et fondateur.

Il existe donc une très grande quantité d’ouvrage traitant de l’Histoire de l’Espagne. Nous pouvons nous arrêter sur quelques uns : “L’Espagne de Figaro – essai sur l’Espagne du XVIIIème siècle” de Gaston Calbairac (1981), ou Histoire pittoresque de l’Espagne  de Robert Courau (1962), ou encore, mais nous nous éloignons du livre d’histoire, “Le sortilège espagnol” de Michel del Castillo (1977). Ce choix de titres très limité, montre la position d’interrogation de l’écrivain ou du chercheur français face à l’énigme de la personnalité de l’Espagnol.

Bartolomé Bennassar dont nous avons déjà parlé renforce cet aspect. Professeur agrégé à l’université de Toulouse, son travail historique consacré à l’Espagne est immense. Avant d’écrire une “Histoire de la tauromachie – Une société de spectacle” en 1993[1], ses interrogations vont vers Être noble en Espagne en 1975 et L’homme espagnol – attitudes et mentalités du XVIeme au XIXeme siècle en 1985.

La démarche historique tourne autour de la personnalité espagnole. Les interrogations sont : qu’est ce qui est pittoresque? pourquoi l’homme espagnol a besoin de se montrer noble? qu’est-ce qu’un hidalgo? quelle est sa mentalité? En quoi est-il prisonnier d’un sortilège? Nous regardons cet homme comme un personnage souvent proche de nous, mais dont certains traits sont particulièrement forts et accusés. L’histoire de la tauromachie passe pour nous par ces interrogations. Sa compréhension nécessite de passer par des approches psychologiques de la personnalité du citoyen espagnol.

 

Notre Histoire de la France taurine…

Une seule histoire de la tauromachie en France existe, c’est Auguste Lafront qui l’a écrite[2], il précise dans son sous titre, du “second empire à nos jours”. Le critère retenu est, l’histoire de la tauromachie à l’espagnole en France. Il sera donc question de l’histoire de la tauromachie en France et non des tauromachies françaises.

Pour revenir à notre histoire franco-française, nous nous apercevons que ce qui crée une identité dans ces multiples aventures, c’est la ville. L’union des bibliophiles français s’est attachée à faire raconter à ses adhérents l’histoire des villes : Nîmes, Arles, Toulouse, Vic, Roquefort, Bordeaux, Bayonne, Béziers, Perpignan, Le Havre, Tarascon, Le-Grau-du-Roi, Marseille, Dax, Céret, Beaucaire, Roubaix, Nantes, Parentis-en-Born, Castres, Lunel, Montpellier, Lyon et Vichy. 24 villes taurines, en activité ou pas, racontées souvent par des aficionados locaux, chercheurs infatigables des documents d’époques et éditées par l’union.
L’UBTF vient de faire paraitre, de Pierre Dupuy, “La tauromachie dans le Maghreb français”.
 

Apparaît clairement l’importance de la ville, comme référence identitaire, on sent bien comment, bien que le combat pour l’implantation de la tauromachie à l’espagnole a été le même partout en France, il y avait et il y a toujours rivalité entre les villes. A l’époque de l’implantation, il  pouvait y avoir manifestations, émeutes, arrestations, démission d’un conseil municipal, duel entre un maire et un préfet, tout cela n’était que l’affaire de chaque ville. Les députés du Sud pouvaient monter aux créneaux devant les bancs de l’Assemblée Nationale, ils y montaient seuls. La manière dont est écrite l’histoire est révélatrice de cet état de fait. Il est vrai que toutes ces histoires sont écrites par des locaux qui accentuent cet aspect là. Mais quand même, ne trouver jamais la moindre évocation d’une alliance entre les représentants de deux villes pour aller lutter contre l’incompréhension de l’État français, nordiste et centralisé, et poser des revendications régionales, cela reste étonnant. Il est vrai que l’identité des férias n’existe qu’à travers la ville, en Espagne comme en France et que cet état d’esprit continue de subsister.

Sur les acteurs de la tauromachie française, il y a en fait peu de chose. Une fois de plus c’est à la mesure du désintérêt de l’afición française pour eux. Certaines biographies ont fini par apparaître, mais c’est un phénomène récent. Un livre extraordinaire est à retenir, “Dans l’intimité du toro, des Français parlent de la tauromachie”. Ce sont des interviews menées de main de maître par François Coupry en 1975. Les interviewés sont Simon Casas, Frédéric Pascal, Jaquito, Roberto Piles… Ce livre est un superbe témoignage de l’histoire de ces hommes. Les livres récents d’Alain Montcouquiol sur son frère sont des moments d’émotion rares dans l’écriture sur les acteurs de la tauromachie française.

 

Quand l’Université s’en mêle…

“Pour l’université française, la corrida de toros fut toujours, comme le flamenco, l’illustration parfaite de la pandereta[3], d’un mauvais folklore destiné à des étrangers ignorants. Ce parti pris systématique eut pour effet d’exclure pratiquement des sections d’Études Hispaniques toute analyse de la tauromachie ou de sa littérature. A l’inverse des Facultés de médecine, des écoles vétérinaires, où les thèses et divers travaux sont légions”. C’est Jean Louis Lopez qui nous dit cela dans un avant-propos d’une édition du texte d’Emmanuel Witz.[4] Il est vrai qu’il y a depuis longtemps des études vétérinaires et médicales qui intéressent la tauromachie. Depuis ces quelques vingt dernières années, les choses ont quand même bougé. Le maximum de travaux nouveaux vont apparaître dans les sciences humaines, essentiellement en Ethnologies et en Sociologie. Les bagarres, autour d’interprétation des textes sur la tradition locale vont faire naître des recherches de Droit mais surtout de Science Politique, dans les rapports administratifs et financiers du spectacle. La dimension ethnologique est de loin la plus intéressante car elle ouvre le travail, enfin, sur les tauromachies françaises. Elle permet d’inscrire la tradition taurine française dans une histoire bien plus ancienne, que ce soit la Bouvine ou la Landaise.

Quelques noms ou références non exhaustives à retenir :  les Cahiers ethnologiques” de l’Université de Bordeaux, Frédéric Saumade, Catherine Bernié-Boissard, mais aussi Araceli Guillaume-Alonso pour ses travaux universitaires sur l’Histoire ou Annie Maïllis pour ses recherches sur la littérature taurine…

Il est question que la tauromachie trouve sa place comme un des éléments de la culture d’une partie de notre Hexagone, donnant matière à la compréhension des rapports sociaux.

Cette démarche est importante. Elle permet de mieux intégrer l’Histoire des tauromachies françaises dans l’Histoire de la France taurine et elle donne du sens à celle ci.

Cette position est confortée par d’autres écrits offrant des approches multiples. On ne parle plus forcément technique ou histoire, mais on va chercher des références dans les Mythes (Viard), dans la Philosophie (Wolff), dans l’éthique (Revue Critique), l’Anthropologie sociale (Zumbielh).  Cette évolution à travers tous ces prismes est plutôt réjouissante, même s’il faut garder l’esprit critique et en éveil.

 


[1] Seul livre français, avec Histoire de la corrida de Saint-Paulien (1968), consacré à une étude complète de ce phénomène.

[2] Auguste Lafront, Histoire de la corrida en France, du second Empire à nos jours, Julliard, 1977.

[3] Tambourin avec des sonailles.

[4] Emmanuel Witz, Description historique de célèbre combat de taureaux en Espagne de la façon qu’il se pratique ordinairement à Madrid,capitale de ce royaume, UBTF, 1979