Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

Ingénieur d’étude au CNRS BAP A (sciences du vivant et caractérisation des systèmes naturels)

Contribution PCI UNESCO A Dervieux (version 1 / 23/03/2010)

Des ressources génétiques aux paysages, l’élevage extensif des taureaux de jeux taurins concerne la biodiversité et le développement durable

Cependant que les agriculteurs subissent une crise qui voient nos campagnes se dépeupler au fil des décennies (quelques 500000 agriculteurs aujourd’hui contre plusieurs millions au début du 20es), l’élevage de taureaux de jeux – nous appellerons ainsi les deux races que l’on élève en France dont la finalité est les jeux taurins pratiqués dans les arènes[1] ou des animations de rues – s’est développé en France pour dépasser aujourd’hui le chiffre de 25000 têtes (com. pers. Anne Vadon, Parc Naturel Régional de Camargue), répartis dans près de 200 élevages. Concentré d’abord dans le delta du Rhône (Camargue), cet élevage a franchi les marges du delta pour s’étendre dans les arrières pays (Alpilles, Cévennes) et le littoral languedocien. Il se développe également dans le Sud Ouest, où l’on compte 9 élevages de taureaux de combat auxquels il faut ajouter quelques 1500 vaches de même origine destinées à la course landaise. Globalement, 2/3 de ces taureaux de jeux sont des bovins de souche camarguaise, 1/3 de la souche espagnole dite taureaux de combat.

L’élevage de ces bovins à la vocation atypique, se pratique en liberté : il s’agit d’un élevage extensif. Les terres de parcours ne possèdent aucun abri artificiel et les animaux sont ainsi soumis aux rigueurs du climat (froid, chaleur, nuisances insectes).  Ils gardent une rusticité indispensable à ce type d’élevage. La plus grande partie de ces animaux évolue dans des milieux naturels ou pseudo naturels, dont ils sont un moyen de valorisation économique. Ces races rustiques sont un réservoir de biodiversité. Les voir disparaître avec la disparition des jeux taurins auxquels ils sont destinés, serait une perte en ces temps où l’extinction de nombreuses espèces dues aux activités humaines (urbanisation non contrôlée, pollutions diverses…) entraîne une régression des habitats et la disparition d’importantes ressources génétiques.

Nombre des milieux pâturés de façon extensive, longtemps considérés comme improductifs, font aujourd’hui l’attention des environnementalistes, des écologues et des biologistes, mais aussi de l’état et des collectivités territoriales : création de Parcs (Nationaux, Régionaux) de Réserves naturelles, achat de terres par le Conservatoire du Littoral. Sur ces terrains, la disparition des usages produit en quelques décennies, un changement paysager très net (voir par ex. Lepart et al, 1999 ; Dervieux, 2000) en raison du développement des strates arborées et des ligneux qui ferment les milieux et tendent à éliminer des espèces emblématiques des milieux ouverts ou semi ouverts. Du point de vue de la biodiversité,  l’herbivorie (on doit ajouter à celui des taureaux, l’élevage des chevaux qui en est le complément) joue un rôle positif important : ils empêchent la fermeture défavorable à de nombreuses espèces floristiques[2], (Vianet et al., 2007) leur présence entraîne celle d’un cortège d’insectes ressource alimentaires d’oiseaux et mammifères[3] (Mesléard, 2008), limite le développement des espèces invasives… Le pâturage extensif est donné aujourd’hui comme un moyen écologique d’entretenir la diversité biologique de milieux où il est exclu, pour des raisons économiques ou de conservation de la nature, d’intervenir mécaniquement. Il contribue ainsi à la valorisation économique de la biodiversité.

Au poids économique croissant de cet élevage qui se développe depuis une vingtaine d’années, s’ajoute d’autres aspects économiques : la commercialisation de la viande de taureaux (celle des animaux élevés dans le delta à obtenu un label AOC en 1996) et les spectacles dans les nombreuses villes et villages du sud de le France.

Enfin, cet élevage est à même de constituer une activité de substitution viable à des ruraux touchés par les difficultés inhérentes à la mondialisation de l’agriculture et à désertification des campagnes, ce qui renvoie à l’importance du maintien des ruraux pour l’entretiens des paysages et des écosystèmes, composante de la biodiversité. Ce point touche donc à l’un des aspects trop souvent négligé du développement durable et de son lien avec les territoires ruraux, à savoir l’équité sociale : ces élevages sont à même de permettre le maintien sur le territoire d’exploitants ruraux, dont le poids économique est d’autant plus à considérer qu’il faut aussi y inclure les retombées en termes de spectacles et d’animation des villes et villages du sud de la France.

Biblio très sommaire :

Dervieux, A., (2000). “Eloge des images ordinaires. Une lecture des changements du paysage en Languedoc depuis le début du siècle à partir de couples de photographies diachroniques. Séquences paysages”, Revue de l’Observatoire du Paysage, 2, pp. 82-89.

Lepart, J., Dervieux, A., Debussche, M., 1996. Changement des paysages et photographie diachronique. Un siècle de dynamique naturelle de la forêt à Saint-Bauzille-de-Putois, vallée de l’Hérault. Forêt Méditerranéenne, XVII(2) : 63-80.

MESLEARD, F. 2008 – La gestion de la biodiversité par le pâturage dans les deltas méditerranéens. Deltas de la Méditerranée, enjeux et gestion pour le 21ème siècle. Journées Franco-catalanes, Ambassade de France Service Scientifique, Barcelona- Sant Carles de la Rapita 1-3 octobre 2008

Régis VIANET, Gaël HEMERY, Stephan ARNASSAN, 2007. L’élevage extensif traditionnel de chevaux et taureaux et le maintien des milieux naturels de Camargue, 18e Rencontres régionales de l’environnement, 18-19 octobre.


[1]Courses camarguaises pour la race originaire du delta du Rhône (Raço di biou), corridas pour le taureau de combat d’origine ibérique.

[2]Par ex. orchidées, Cresse de Crête (inscrite au Livre rouge de la flore menacée de France), Nivéole d’été (Vianet et al. 2007)

[3]Grand rhinolophe, hérons garde bœufs, oies (Mesléard, 2008)