Observatoire National des Cultures Taurines

Observatoire National
des Cultures Taurines

III – Une afición en pleine maturité

A partir des années 20, les choses se stabilisent. La tauromachie s’installe et est  reconnue, les polémiques s’estompent largement, les régions taurines sont maintenant à peu près définies, les férias s’installent sur le long terme. L’écriture va prendre toutes les formes possibles pour évoquer l’art taurin. Nous retiendrons dans cette approche trois aspects qui nous semblent plus caractéristiques de la position française.

Le premier est une sorte d’âge d’or du roman taurin, avec l’apparition de textes nationalement et mondialement reconnus, mais aussi comme on le dirait maintenant, la chaîne de répercussions médiatiques, ouvrant ainsi la voie au cinéma, aux grands journaux populaires, au monde de l’Art.

Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons d’une part aux écrits historiques français, sur l’histoire de la corrida en général puis en particulier en France et d’autre part sur les différentes nouvelles approches, par exemple celles initiées par l’Université.

Enfin, pour terminer sur une note plus récréative, on parlera du roman populaire, du roman policier et de la bande dessinée.

 

1 – L’âge d’or de l’écriture taurine

Grands romans…

Cette période nommée ici l’âge d’or de la littérature française va commencer très vite après le premier conflit mondial. Le besoin de paix va certainement profiter à l’épanouissement de ce nouvel art qu’est la tauromachie et à son accompagnement intellectuel, autant littéraire qu’artistique. En même temps que la fête taurine s’installe et trouve ses marques, le personnage du torero va apparaître dans la littérature comme un personnage romantique important avec à son service de très grandes plumes de la littérature. C’est pour nous un âge d’or, autant parce que de grands littérateurs vont tremper leur plume pour l’art du toreo, que dans le fait que cette écriture va rencontrer une période de liberté et de création plus jamais retrouvée. Nous avons fait le choix ici de quatre grands textes significatifs par leurs auteurs, leur qualité littéraire et leur aspect universel.

En 1925 la première traduction de “Arènes sanglantes” de Vicente Blasco Ibañez va sortir en France. Il est à signaler que le traducteur, Georges Hérelle, fera même, cette année là, un livre d’initiation illustré par des extraits d’Arènes Sanglantes s’intitulant “Petit traité descriptif des courses de taureaux d’après Arènes sanglantes”.

Illustration de Jean Routier, jaquette de “Arènes sanglantes” de Blasco Ibáñez,
Nelson édition, 1930

Un an plus tard ce sont “Les Bestiaires” d’Henry de Montherlant.

Plusieurs éditions ou rééditions ont accompagné le succès de ce livre :

 

Illustration de Roger Pérot, couverture de “Les bestiaires” de Henry de Montherlant,
bibliothèque reliée, Plon, 1926

Photo de couverture de “Les bestiares” de Henry de Montherlant,
dans l’édition Select-collection de chez Flammarion (1942)
dont les textes étaient réduits pour des raisons de format.

Détail d’un tableau de Yves Brayer, couverture de “Les bestiaires”
de Henry de Montherlant, livre de poche, 1954.

L’œuvre de Montherlant est gigantesque, de nombreux textes suivront, quelques essais sur la tauromachie, et de nombreux romans et pièces où les allusions taurines sont nombreuses. Répondant à son discours d’entrée à l’Académie Française, le Duc de Lévis Mirepoix, comparant Montherlant au torero Gallo, lui dit : “Certes, il est de notoriété publique, Monsieur, que vous n’avez jamais hésité devant un taureau, l’épée de matador à la main. Cependant n’est-ce pas un peu de la sorte que vous avez plusieurs fois écarté l’épée académique ? Seriez vous superstitieux ?”[1] Ainsi nous avions en France un académicien-practico qui, si l’on en croit ce discours est plus prompt à tuer le taureau qu’à rentrer à l’Académie Française.

 Bois de Georges Tcherkessof illustrant “Sang et lumières” de Joseph Peyré
Paris : J. Ferenczi, 1938 .- 219p. : ill. ; 21 cm. .- (Le Livre moderne).

En 1935 c’est au tour de Joseph Peyré de publier “Sang et lumière”, prix Goncourt. Peyré aura plusieurs grands thèmes qui vont alimenter son œuvre. L’un de cela sera l’Espagne et la tauromachie.

Photographie de Denys Colomb de Donnant pour la couverture de “Sang et lumières”
de Joseph Peyré, Club des amis du livre, 1961

Une des illustrations de Michel Gourlier de “Sang et lumières” de Joseph Peyré,
Grasset, 1935.

D’autres textes importants suivront comme “La tour de l’or” et “Guadalquivir”.

Une des illustrations d’Albert Brenet de “Guadalquivir” de Joseph Peyré,
édition G.P. 1957

Enfin, deux années auparavant, était édité en France “Le soleil se lève” aussi, se déroulant à Pampelune, d’Ernest Hemingway. Mais c’est surtout la traduction de “Mort dans l’après-midi”, édité en 1938, que nous allons retenir comme texte important de l’Américain. Pour lui aussi d’autres suivront, en particulier d’excellentes nouvelles.

Les lecteurs de l’époque vont découvrir et suivre les aventures, les fortunes et les malheurs de Juan Gallardo, d’Alban de Bricoule et autre Ricardo Garcia, héros de ces nouveaux romans.

Ces quatre auteurs sont essentiels dans la littérature taurine française et même mondiale.

Tous ces textes ont marqué le monde de l’édition. Il vont donner lieu à des rééditions de luxe souvent rehaussées par des crayons ou pinceaux célèbres. Ils vont tous être de nombreuses fois réédités en poche.

“Peopolisation”…

Mais il n’y a pas que le monde de l’édition qui sera touché. Tous ces textes ont intéressé le monde du cinéma et donné lieu à des scénarios. Le cinéma américain n’a pas été le dernier à proposer des interprétations.

Il n’est pas question de faire ici un récapitulatif du cinéma taurin, mais il faut prendre conscience que la multiplicité des supports aura un grand impact sur l’aspect “people” nouveau en France. Si des stars du cinéma américain jouent dans des films taurins, elles viennent aussi dans nos arènes, et les journaux  à grand tirage de l’époque font leurs couvertures avec Hemingway, Ava Gardner, Orson Welles ou Luis Miguel Dominguin.

Cette vague médiatique, va participer à une deuxième forme de publicité pour la tauromachie. Il sera de bon ton de se montrer au palco avec des intellectuels de tous genres. D’une certaine manière le “tout Paris” viendra aux arènes. Il est très chic de s’asseoir aux côtés de Pablo Picasso, en barrera des arènes d’Arles ou de Nîmes. Si on regarde bien les photos de l’époque, le palco est riche de célébrités et en particulier d’auteurs “taurins” français importants. Nous pensons par exemple à Michel Leiris, ou bien à Jean Cocteau.

Cette richesse de talents va s’élargir à d’autres noms qui vont marquer l’écriture taurine française comme Jean-Marie Magnan ou Jean Cau, mais aussi verra l’avènement d’un maître de la photographie taurine, Lucien Clergue.

Il y a  dans cette période une richesse incroyable, inégalée, quand on reprend tous les noms cités, une sorte de plénitude par rapport à notre art. On peut en faire la couverture de Paris Match, sans soulever des ouragans de colère et d’indignation. Il y a alors une sorte de délectation à créer autour de cet objet, d’en parler ou d’écrire avec enthousiasme.

Que ce soit le torero du roman, ou l’écrivain qui se positionne en torero de la littérature (Leiris), l’aspect romantique au sens fort du personnage ne semble pas être galvaudé. Le personnage du torero devient non seulement héroïque mais aussi fascinant et séducteur. Dominguin personnalisera cet homme. On lui attribuera une grande quantité de conquêtes féminines.

Ce qu’il faut aussi voir dans cette période, c’est l’importance de la production livresque, liée à la rencontre entre littérateur, et artistes de tous genres, peintre, sculpteur, dessinateur, photographe. Un grand nombre d’essais, de grande qualité bibliophilique ont vu le jour à cette époque. Par exemple, “Tauromachie, Art profond”, dirigé par Paco Tolosa ou “Corrida et Toros” de Juan Leal font le bonheur des bibliophiles et collectionneurs de beaux livres.

Pour conclure cette période faste et médiatisée, nous retiendrons le personnage de El Cordobés, dernier torero pouvant s’offrir la première page d’un Paris Match. Dominique Lapierre et Larry Collins ont dû, avec le récit de sa vie sous le titre “…ou tu porteras mon deuil”, battre tous les records de vente du livre taurin.

En écrivant sur cette période nous avons le sentiment de passer à côté de beaucoup d’informations. Cela donne envie de citer un livre. C’est le travail réalisé par Marion Jean et Jean-Marie Carpentier, “écrire la corrida”, édité par Actes-Sud en 1987. Il propose une cinquantaine de courts extraits de textes de multiples auteurs.

 


[1] Discours de réception de H. de Montherlantà l’Académie Française et réponse de M. le Duc de Lévis Mirepoix, Paris, 1963.